mercredi 3 janvier 2007

APRES L’EXECUTION DE SADDAM HUSSEIN

Condamnations et craintes pour l’avenir de l’Irak
Condamnations, indignation, voire dégoût, sont les sentiments qui se dégagent après l’exécution, par pendaison, le jour de l’Aïd el Adha, de l’ancien président irakien Saddam Hussein.
Son exécution est loin d'avoir fait l'unanimité à l'étranger, notamment chez les opposants à la peine de mort. Les réactions ont fusé de toute la planète et les voix, même si parfois elles ont été timides, se sont élevées pour condamner cette " sentence hâtive" et rappeler leur hostilité à la peine de mort. Si Washington voit l'exécution de Saddam Hussein comme "une étape importante sur la route de l'Irak vers une démocratie ", la Russie, en revanche, voit dans cette exécution un facteur qui risque d'aggraver la situation en Irak et regrette que les appels internationaux à la clémence ont été ignorés. L'exécution "pourrait conduire à une dégradation de la situation politico-militaire et à une montée des tensions sectaires", a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères. "Le pays sombre dans la violence et se trouve de fait au bord d'une guerre civile totale", prévient-il.
UNE NOUVELLE TRAGIQUE POUR LE VATICAN
Pour sa part, le Vatican a fermement condamné la mise à mort de Saddam et, comme d’autres capitales européennes, a qualifié la nouvelle de "tragique" allant jusqu’à dire " qu'elle violait la loi divine et risquait d'alimenter la vengeance". Ceci au moment où Pékin, conformément à sa politique de non-ingérence dans les affaires de pays tiers, qui s'est toujours opposée à l'invasion de l'Irak, n'a pas commenté l'exécution. La porte-parole du ministère des Affaires étrangères a déclaré que "la Chine espère que l'Irak atteindra rapidement la stabilité et le développement".
LES ALLIES DE BUSH SE VEULENT NEUTRES
Le Canada, par la voix de chef de la diplomatie, a estimé qu’il " était trop tôt pour commenter l’exécution" de Saddam Hussein. Il a souhaité un "avenir paisible et prospère" à l'Irak. L'Australie, connue pour son opposition à la peine capitale, s’est montrée neutre en déclarant qu’elle "respecte" la
décision des autorités irakiennes. Une déclaration sans surprise, d’autant plus que le Premier ministre conservateur John Howard, est un indéfectible allié des Etats-Unis. Même position du côté de Tokyo. Le Japon, allié des Etats-Unis dans la guerre en Irak, se dit lui aussi "respecter" la décision des autorités irakiennes. "Il s'agit d'une décision prise par le nouveau gouvernement de l'Irak conformément à l'Etat de droit. Nous la respectons", a déclaré un porte-parole des Affaires étrangères. La Corée du Sud, troisième force militaire en Irak, "espère que le gouvernement irakien et la population surmonteront avec sagesse les difficultés actuelles pour atteindre l'harmonie nationale, la stabilité et la reconstruction économique".
L’EUROPE PREOCCUPEE
En Europe, le président du Conseil italien Romano Prodi s'est dit "préoccupé" à l'idée "que l'exécution de Saddam Hussein puisse accroître la tension" en Irak.
Il a jugé cette exécution "inhumaine", et appelé à la "magnanimité" du gouvernement. Pour Silvio Berlusconi, ancien président du Conseil italien, cette exécution est une "erreur politique et historique" qui " n’aidera pas l’Irak à tourner la page". Berlusconi, qui s’était engagé aux côtés de Washington en envoyant 3000 soldats italiens en guerre en Irak, a estimé que la pendaison de l’ancien président irakien est "un pas en arrière". La France, qui plaide, comme l'ensemble de ses partenaires européens, pour l'abolition universelle de la peine de mort, s’est contentée d’annoncer, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, qu’elle "prend acte de l'exécution de Saddam Hussein". Paris appelle les Irakiens à "regarder vers l'avenir et à travailler à la réconciliation et à l'unité nationales". Pour sa part, la candidate socialiste à la présidence française, Ségolène Royal, a déclaré que l'exécution de Saddam Hussein provoque en elle "un sentiment indéfinissable de dégoût. Mme Royal s’est demandé en outre "quel retentissement profond vont avoir, sur une partie de la population irakienne, les images de cette exécution diffusées dans le monde entier", en soulignant que "c'est ajouter l'humiliation à la honte".
LA CRAINTE DU REGAIN DE VIOLENCE
A Helsinki, on estime que cette exécution "pourrait s'avérer porteuse de divisions pour l'avenir de l'Irak, notamment en raison des graves critiques sur la manière dont le procès a été conduit". A Berlin où le gouvernement est contre la peine de mort, la chancelière allemande, Angela Merkel a souhaité que le peuple irakien " puisse aller sur le chemin de la non violence". A Prague, on craint que la mort de Saddam "entraîne un regain de violence". Stockholm regrette et estime que "la peine de mort à l'encontre de Saddam Hussein est regrettable". Oslo regrette l'exécution de Saddam Hussein, et estime qu'elle "ne résout pas les problèmes politiques de l'Irak". L'Autriche, pour sa part "rejette la peine de mort par principe (...), sans exception et indépendamment de la nature et de l'ampleur du crime commis". De son côté, Athènes voit dans l'exécution de Saddam Hussein "un nouveau moment dramatique de l'histoire agitée de l'Irak". Tout en espérant "qu'il soit le dernier". Les autres capitales européennes se sont contentées d’afficher leur refus à la peine de mort. Comme c’est le cas de Londres où la ministre des Affaires étrangères Margaret Beckett, s'exprimant au nom du Premier ministre Tony Blair, a estimé que Saddam Hussein avait "payé", tout en réaffirmant l'opposition de principe de son pays à la peine de mort. "Nous avons clairement fait connaître notre position aux autorités irakiennes, mais nous respectons leur décision en tant qu'Etat souverain", ajoute Mme Beckett. A New Delhi, Islamabad, Kuala Lumpur (la Malaisie assure la présidence de l’OCI), c’est l’indignation et "un triste événement".
UNE EXECUTION SANS LEGITIMITE JURIDIQUE
Le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva a estimé que l’exécution de l’ancien président irakien "ne résolvait pas le problème de l'Irak". "Je ne sais pas si cela a été la justice ou une vengeance", a-t-il dit. Au Pérou, on estime que Saddam Hussein "méritait la peine maximale établie par son pays", mais l'occupation de l'Irak "prive" l'exécution de "légitimité juridique : l'a-t-on pendu pour ses crimes ou en raison (des pressions) de forces étrangères ?" s'est demandé le président péruvien Alan Garcia. Le président argentin Nestor Kirchner a condamné l'exécution de Saddam Hussein, estimant que sa pendaison "ne contribuerait pas au processus de pacification" du pays. "L'Afrique du Sud demeure convaincue que (l') exécution (de Saddam Hussein) n'est pas la panacée aux problèmes politiques actuels en Irak"


LE MONDE ARABE CONSTERNE
«Une atteinte aux sentiments des musulmans»
L’exécution de Saddam Hussein a suscité de vives réactions dans les milieux politiques et au sein de l’opinion publique arabe. Bon nombre de gouvernements qualifient la pendaison de Saddam Hussein d’acte indigne d'un pays civilisé, exprimant leur profonde indignation. Opposée à la peine de mort, l’opinion publique internationale n’a pas applaudi à l'exécution de l'ancien président irakien Saddam Hussein.
Dans le monde arabe, l’exécution de l’ancien président le premier jour de l’Aid el Adha est tombée comme un couperet. La presse saoudienne estime que cette pendaison a causé surprise et consternation. Critiquant la politisation du procès de Saddam, l'agence saoudiennne (SPA), reflétant la position officielle du royaume, a estimé que la pendaison, exécutée le premier jour de l'Aïd el Adha, avait causé "surprise et consternation".
De nombreux observateurs à l’échelle mondiale s'attendaient à ce que le procès d'un ancien président dure plus longtemps et comprenne des poursuites détaillées et des procédures juridiques rigoureuses, loin de toute politisation. Les analystes saoudiens dénoncent par ailleurs le changement de juges "durant le procès et son déroulement qui s'est fait" dans des conditions d'occupation américaine. Les milieux politiques qataris qualifient cet acte ignoble de "vengeance confessionnelle" et ce, au lendemain de la diffusion d'images de la pendaison de l'ancien président irakien
"Cette exécution fait fi des sentiments des musulmans, d'autant que plus de trois millions de fidèles étaient rassemblés" pour le pèlerinage à La Mecque, dénonce le journal El Djazira, un autre quotidien saoudien.
En Irak, le Comité des oulémas musulmans, principale organisation religieuse sunnite, a accusé les Américains d'être derrière l'exécution du président irakien et appelé les Irakiens à déjouer leurs plans, dans un communiqué mis en ligne hier. "L'exécution, de cette manière, de l'ancien président irakien Saddam Hussein s'est déroulée conformément aux ordres et aux désirs de l'occupant et de certains de ses alliés à l'extérieur et à l'intérieur" de l'Irak, déclarent les membres du comité dans un communiqué. "Il s'agit d'un acte éminemment politique", estime ce texte, soulignant que le premier jour de l'Aïd el Adha a été choisi pour exécuter le raïs. Le choix de cette date "témoigne de leur haine et de leur désir de provoquer" les sunnites, poursuit le Comité.
De son côté, le Comité de défense de Saddam Hussein s'est indigné du climat qui a entouré l'exécution de l’ancien président irakien et a dénoncé le fait qu'aucun représentant de la défense n'y avait assisté. "Nous dénonçons le climat de haine et de vengeance politique qui a entouré l'exécution du président martyr Saddam Hussein", indique un communiqué du comité. "L'exécution, de cette manière, de l'ancien président irakien Saddam Hussein, le premier jour de l'Aïd el Adha, fait fi des sentiments des Arabes et des musulmans", ajoute le communiqué. "Aucun représentant de la défense n'a été informé de l'heure de l'exécution ou n'a été invité à y assister alors qu'un membre de notre comité se trouvait dans la zone verte", à Bagdad, déplore également le Comité des avocats. Le Comité accuse aussi les "autorités américaines d'occupation d'avoir délibérément ignoré les avocats".
Le secrétaire général de l'Organisation de la conférence islamique (OCI) a, pour sa part, appelé le peuple irakien "au calme et à l’unité".
INDIGNATION ET CONSTERNATION
Dans la région proche-orientale, les réactions restent mitigées. A Amman, plusieurs centaines de personnes, dont la fille aînée de Saddam Hussein, Raghad, ont manifesté pour protester contre la pendaison de l'ancien président irakien.
La manifestation, organisée à l'appel de syndicats professionnels regroupant notamment médecins, ingénieurs et avocats, s'est déroulée devant l'immeuble du syndicat au centre de la capitale jordanienne. Le porte-parole du mouvement palestinien Hamas, Fawzi Barhoum, a dénoncé un "assassinat politique" qui "viole toutes les lois internationales censées protéger les prisonniers de guerre". Saddam Hussein était le plus populaire des dirigeants arabes dans les territoires palestiniens. Lors de la deuxième Intifada, il avait versé des millions de dollars aux familles des "martyrs" et des kamikazes palestiniens.
La Libye a décrété pour sa part trois jours de deuil national et annulé les festivités prévues pour la fête de l’Aïd el Adha.
Sans porter de jugement sur l’exécution, le ministère marocain des Affaires étrangères a mis l'accent sur "la nécessaire réconciliation et concorde entre les différentes composantes de la nation irakienne". A Rabat quelque deux cents manifestants marocains ont protesté contre l'exécution de l'ancien président irakien Saddam Hussein. Une manifestation similaire s'est déroulée samedi soir devant le consulat général des Etats-Unis à Casablanca.
Le Groupe d'action marocain pour le soutien à l'Irak et à la Palestine a qualifié, dans un communiqué, le procès de Saddam Husseïn de "mascarade menée par un tribunal mis sur pied par l'occupation". Les manifestants, réunis près du consulat général des Etats-Unis à l'appel d'une association locale, ont également dénoncé le "silence complice des régimes arabes".
La Tunisie considère que l'application de cette sentence, en ce jour, est une grave atteinte aux sentiments des peuples musulmans, au moment où ils célèbrent une fête religieuse sacrée
Synthèse Safia D.
SADDAM S’EN VA DIGNEMENT
Lors des derniers moments avant son exécution, Saddam Hussein s'est montré calme et digne. Il n'a pas hésité à répondre aux attaques de l'assistance et a assuré une dernière fois qu'il avait sauvé les Irakiens "du dénuement et de la misère", selon plusieurs témoins. "Je vous ai sauvé du dénuement et de la misère et j'ai détruit vos ennemis, les Perses et les Américains", a répondu Saddam Hussein, selon le conseiller national irakien à la sécurité Mouwafak al-Roubaïe, à un garde qui lui avait lancé : "Tu nous as détruits ! Tu nous a tués ! Tu nous as fait vivre dans le dénuement !". A un autre moment, "il a dit que nous irons au Paradis et que nos ennemis finiront en enfer". Il a aussi lancé un appel au pardon et à l'amour entre les Irakiens et a dit que les Irakiens devaient combattre les Américains et les Perses, a rapporté à la BBC un juge de la cour d'appel. Saddam Hussein, la corde au cou, récite ensuite la chahada "il n'y a qu'un Dieu et que Mohamed est son Prophète". Saddam, qui est mort les yeux ouverts, a, quelques instants avant sa pendaison, demandé d'envoyer le Coran qu'il tenait dans ses mains à une personne




Ceux qui ont longtemps pensé ou soutenu l’idée que l’exécution de Saddam Hussein pouvait constituer une solution à la crise irakienne doivent bien admettre aujourd’hui qu’ils se sont trompés. Et même lourdement. Car, comme il a été loisible de le constater, la pendaison expéditive de l’ancien président irakien n’aura en rien contribué à diminuer les luttes interconfessionnelles dans ce pays ; bien au contraire, celle-ci risque même de précipiter tout le Moyen-Orient dans une crise inextricable. Mais dans l’absolu, rien n’interdit de penser que le timing choisi (le premier jour de l’Aïd Al Adha) pour mettre à exécution la sentence prononcée par la justice irakienne à l’encontre de Saddam Hussein au mois de novembre dernier n’a pas pour but, justement, de faire d’une pierre deux coups. Ou même plus : c’est-à-dire affaiblir les Irakiens en exacerbant les contradictions et les différences qui opposent notamment les chiites et les sunnites et, ensuite, jeter tranquillement les bases d’un futur Etat irakien à majorité chiite pro-américain, capable d’endiguer la « menace » iranienne. Les faits pouvant participer à corroborer une telle lecture sont nombreux. Le premier d’entre eux reste bien entendu l’exécution de l’ancien maître de Baghdad qui ne peut être interprétée autrement que comme un cadeau fait par les Etats-Unis aux chiites d’Irak. Tout le monde aura effectivement compris qu’en s’arrangeant pour faire disparaître Saddam Hussein durant une fête de l’Aïd, Washington n’aura en fait que confirmé ce que tout le monde savait plus ou moins déjà, à savoir qu’elle avait une préférence intéressée pour cette communauté religieuse. Cette éventualité semble d’ailleurs avoir tellement réjoui les chiites que ceux-ci ne se sont pas gênés, au moment de l’annonce de l’exécution de Saddam Hussein, pour laisser exploser leur joie dans les rues de Baghdad, cela au moment où les sunnites du monde entier apparaissaient profondément écœurés par le sort réservé à l’ancien ennemi juré de Téhéran. L’Iran aussi a célébré sans retenue la disparition de l’ex-président irakien. N’était leur religion, les Iraniens auraient sans aucun doute sablé le champagne tant ils lui vouaient une haine sans limites. Malgré le lourd contentieux historique qui opposait l’Irak à l’Iran, l’intensité de la réaction iranienne n’est tout de même pas allée sans surprendre. Et, ainsi qu’il fallait s’y attendre, le plus grand étonnement est venu du monde arabe qui espérait des responsables iraniens une attitude beaucoup plus politique. Nombre d’observateurs ne s’expliquent pas non plus comment l’Iran a pu prendre ainsi le risque de s’aliéner les opinions arabes (qui sont majoritairement sunnites) au moment où il se confirme de plus en plus que leur pays — qui a actuellement le statut de puissance régionale — est dans le collimateur de Washington. Des opinions qui plus est l’ont, jusque-là, soutenu dans le bras de fer qui continue à l’opposer au Conseil de sécurité de l’ONU sur la question du nucléaire. En ce sens, l’on trouve étonnant que Téhéran — qui a habitué à être perspicace — n’ait pas prévu que sa réaction pouvait jouer en sa défaveur et peut-être ouvrir la voie à son isolement.

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