mercredi 3 janvier 2007

Le double jeu de Bush

Saddam Hussein, 69 ans, a été exécuté par George W. Bush, le premier responsable d’Abu Gharib, Abu Gharib et de la mort de 650 000 Irakiens, selon les estimations des Nations unies.
C’est un fait établi dans l’histoire et le droit international, sous occupation, toutes les fonctions d’un État occupé sont dévoyées, y compris la justice, à l’occupant. N’en déplaise aux gouvernements irakien et américain, la mascarade inachevée du procès et l’exécution sordide et précipitée du président irakien déchu ressemblent à tous les procès et exécutions qu’ont coutume d’organiser les régimes autoritaires quand ils veulent se débarrasser prestement d'un prisonnier gênant.
Et le raïs en avait des secrets. Comme celui des "29 paysvoccidentaux qui l’ont encouragé durant huit ans à faire la guerre à l’Iran", le feu vert qu’il a obtenu en juillet 1990 de l'ambassadrice des Etats-Unis en Irak April Glaspie pour envahir le Koweït un mois plus tard, l’aide de la CIA pour détruire le parti communiste irakien, la conclusion en 1983 d’un contrat par Donald Rumsfeld, l’un des hommes-clé du président Ronald Reagan, durant les années 80, portant sur les exportations US de matériel biologique et chimique.
Ces mêmes gaz ont été employés plus tard sur les Kurdes à Halabja. Aujourd’hui, il est aisé de comprendre pourquoi Saddam a été jugé pour le massacre en 1982 des 148 chiites du village de Doujaïl, à 60 km au nord de Bagdad, et non pour le massacre de 182 000 Kurdes à Anfal en 1987-1988 avec les armes chimiques américaines.
En ordonnant cet "égorgement" barbare, de surcroît le premier jour de l’Aïd, le président américain, qui a promis aux Arabes et aux musulmans, de Nouakchott à Islamabad, et en particulier aux Irakiens, la mise en place d’une démocratie dans un "Nouveau Moyen-Orient", a fait un calcul politique. Outre le cadeau de fin d’année qu’il s’est offert pour son ego, le "stratège" George W. Bush, en manque d’arguments pour justifier la présence de ses troupes dans la région au nom de la "guerre contre le terrorisme", cherche, primo, à dévaloriser davantage, aux yeux des Arabes et des musulmans, les gains potentiels qu'ils pourraient obtenir de la démocratie, deusio, à faire de Saddam un grand martyr.
Saddam, un martyr !
Dans son jeu régional, Bush sait que pour l’homme arabe de la rue, Saddam Hussein est celui "qui a affronté les menaces extérieures au nom des Arabes, combattu l'Iran et lancé des missiles contre Israël". Avec quels arguments, les démocrates de la région réussiront-ils à convaincre l’homme de la rue pour qu’il se batte pour un Etat de droit quand le résultat qu’il a devant ses yeux, ressemble aux actions d'une dictature arrogante à mille lieues des droits de l’Homme es plus élémentaires et quand les auteurs des massacres de Sabra et Chatila et à Qana au Liban ne sont nullement inquiétés ? Les extrémistes islamistes peuvent faire la fête.
Bush vient de leur servir sur un plateau en or massif un argument pour donner un nouvel élan à la guerre civile en Irak et … une clé pour ouvrir la boîte de Pandore.
Tous les analystes sont unanimes à dire aujourd’hui que la décision de Bush de conduire Saddam, la corde au cou, vers la potence, comme un mouton voué au sacrifice religieux, attendant d'être égorgé, ne fera qu’exacerber la guerre civile en Irak en plein chaos déjà, et, entraîner une nouvelle étape du djihad islamiste dans l'ensemble du Proche-Orient. Une étape que certains religieux présentent comme une réaction au desiderata de l’Amérique de se venger du monde musulman en lui déclarant une guerre culturelle, politique, économique et sécuritaire.
Dans cette tragédie grecque qui se joue en Irak, y aura-t-il quelque part dans le monde quelqu’un qui osera dire qu’il y avait samedi au moins un siège vide sur le banc des accusés à côté du tyran : celui de George W. Bush ? Celui-là même qui a vient de recevoir, selon World Tribune.com, une étude annonçant que sa "Long War" durera au moins 100 ans. En Irak, la pendaison de Saddam Hussein vient de marquer une nouvelle étape.
Pas celle "annoncée" par Washington mais un "divorce sans retour entre chiites et sunnites". Si le parti Baâth a appelé les Irakiens à "frapper sans pitié" les occupants américains et l'Iran chiite pour venger l'exécution de son chef de file, l'Armée islamique appelle, elle, à sauver Baghdad de l'"occupation iranienne" qualifiée de pire que celle des Etats-Unis
Djamel Boukrine.
Et le verdict de l'Histoire ?
Le procès de Saddam aurait pu révéler tous les aspects peu ragoûtants de la realpolitik qui sacrifie les principes tant proclamés aux intérêts. Il fut un temps où le Président de l'Irak n'était pas un paria, un chef affublé de toutes les tares. C'était un personnage qu'on recevait, avec qui on commerçait. Quand s'amoncelèrent les périls de la contagion du khomeïnisme, il était même l'ultime rempart contre le danger de la théocratie. Saddam était loin d'être démocrate. Il suffit de suivre les programmes de la télévision irakienne pour voir énumérer par ses compatriotes ses méfaits et ses excès. Mais a-t-on fait mieux que lui ?
Depuis l'invasion de l'Irak par les Américains, le nombre de morts a atteint près d'un million de personnes, sans compter les milliers d'Irakiens qui se sont exilés, l'infrastructure d'un pays qui pouvait se targuer de posséder le système éducatif le plus performant du monde arabe complètement détruite. Saddam a été certes autoritaire mais patriote.
Le bilan de ses successeurs annule toute prétention à le juger. Comment peut-on établir une justice équitable dans un pays où les responsables sont confinés dans une zone hyper protégée par une armée étrangère ? Comment juger un homme dans la sérénité alors que les tensions communautaires s'exacerbent ? Nul juriste sérieux n'a estimé crédibles tous les procès où il eut à comparaître, n'offrant pas de garanties à la défense d’un homme qu'on s'empressait d'achever et non de juger. Et quand les décisions de justice font scandale, il est rare que le scandale ne se trouve pas dans la nation elle-même, écrivit Pierre Vidal Naquet, en d'autres et similaires circonstances. Mais au-delà de la justice des hommes, il y a le tribunal de l'Histoire. C'est lui qui déterminera si sa disparition aura, comme le prétendent ses détracteurs, annoncé une aube nouvelle pour l'Irak. Ou s’il a enfoncé davantage un pays martyre que Saddam avait plus stabilisé que fragilisé

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