jeudi 4 janvier 2007

Les ferments de la haine

L’exécution de l’ex-président irakien Saddam Hussein a pu être comparée à celle du dictateur roumain Nicolae Ceaucescu. Mais dans ce cas de figure, comparaison n’est pas raison car les contextes dans lesquels ont été jugés et condamnés les deux hommes diffèrent à nombre d’égards. Ceaucescu, aussitôt renversé, avait été déféré devant un tribunal qui prononça contre lui et son épouse Eléna une sentence de mort aussitôt appliquée. Le conducator avait été jugé par des Roumains hors de toute ingérence étrangère. Ce n’était pas le cas pour Saddam Hussein dont le long procès s’est déroulé dans un contexte d’occupation militaire étrangère. Dans de telles conditions, la légitimité du tribunal qui a jugé l’ex-président irakien peut être contestée tout autant d’ailleurs que sa compétence. Saddam Hussein était accusé de crimes contre l’humanité et la seule instance apte à se prononcer sur ses responsabilités devait logiquement être le Tribunal pénal international qui a eu à connaître notamment du cas de l’ex-président serbe Milosevic. Toutefois, Saddam Hussein ne pouvait pas être présenté au TPI car d’une part, cette instance n’est pas reconnue par les Etats-Unis, et d’autre part, le président irakien déchu, fait prisonnier par l’armée d’occupation américaine, devait disparaître. Les Américains ont élaboré le scénario qu’ils pensaient le plus plausible : celui de la mise en place d’un tribunal constitué de juges irakiens qui auraient à décider de la peine de mort contre Saddam Hussein qui a eu droit -si on peut le dire comme ça- à un procès exclusivement à charge. Sa cause était entendue de longue date. Si les juges étaient Irakiens, le centre de décision était américain. Il est significatif de relever que le procès de Saddam Hussein semblait hors du temps dans un Irak à feu et à sang à un point tel que le jugement du président déchu ne pouvait pas constituer une priorité plus imminente que celle du rétablissement de la paix et du retour à une souveraineté pleine et entière de ce pays. La mort de Saddam Hussein ne va certainement pas aider à apaiser une société irakienne en proie à de tragiques effusions de sang. L’occupation militaire américaine se solde, depuis 2003, par des dizaines de milliers de morts sans qu’aucun des responsables de ce bain de sang n’ait eu à rendre compte de ses actes devant une justice irakienne bien virtuelle dans un autre domaine que celui qui touche le régime de Saddam Hussein. Qu’en sera-t-il à l’avenir ? Il conviendrait de savoir ce que pourront dire ces juges irakiens lorsque leurs compatriotes leur demanderont de justifier leur collaboration avec une armée d’occupation étrangère. L’épisode de la pendaison de Saddam Hussein laissera à n’en point douter une trace indélébile dans l’inconscient collectif des Irakiens. L’ex-président irakien s’il ne pouvait être exonéré d’actes graves qui lui ont été reprochés ne pouvait être jugé que dans un cadre consensuel pour tous les Irakiens. La crainte est que sa mort ne creuse davantage le fossé entre les communautés chiite et sunnite. Les Américains, qu’ils restent encore en Irak ou qu’ils s’en retirent, ont, d’ores et déjà, miné ce pays en profondeur car ils y ont semé les ferments de la haine et du ressentiment entre Irakiens. Après l’Afghanistan, l’Administration Bush a fait de l’Irak un Etat factice gouverné par un pouvoir non moins factice parce que l’un et l’autre n’existent que par le bon vouloir de la Maison-Blanche. Les Etats-Unis ne se maintiendront en Irak que pour préserver leurs intérêts énergétiques : ils ne peuvent pas l’envisager pour l’éternité. Quelle sera alors la posture morale, politique, du gouvernement irakien mis en place par l’autorité militaire étrangère lorsque les conditions d’un face-à-face tragique seront réunies ? C’est en cela que, pour l’Irak, le plus dur est encore à venir.

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